Je vous filme Sarajevo

 

 

Jean-Gabriel Périot rencontre des réalisateurs bosniaques trente ans après le siège de la ville et leur demande de commenter leurs images

Retrouver le documentariste Jean-Gabriel Périot dans un film d’archives ne surprend guère. Son adaptation de Retour à Reims, récit autobiographique de Didier Eribon, contient son lot d’images d’émissions télévisées sur la classe ouvrière dans les années 1950. Dès Une jeunesse allemande, son premier long métrage en 2015, la question du réemploi de l’archive et du commentaire posé sur celle-ci s’inscrit dans son cinéma. Le renouvellement de son utilisation dans Se souvenir d’une ville étonne davantage. Les images du passé ne sont présentes que dans les trente premières minutes. Elles appartiennent à des cinéastes bosniaques présents durant le siège de Sarajevo par les Serbes entre le 5 avril 1992 et le 29 février 1996.

 

Telle quelles, des traces visuelles et sonores de la guerre

La confiance accordée à ces fragments de la guerre passe par une absence de voix of. Le cinéaste expose ces traces visuelles et sonores d’il y a trois décennies telles quelles. Quelques-unes sont plus insoutenables que d’autres, comme un plan-séquence dans un bus attaqué, le sang ruisselant entre les sièges. La mort ponctue le montage, avec ces corps allongés en pleine rue, la cervelle parfois explosée. Nombreuses sont aussi les scènes de combats reconstitués dans la ville ou sur la colline alentour. Mais dans toute cette violence extérieure se glissent des décors inattendus : une salle des fêtes et un cinéma clandestin sont finalement remplis de personnes prêtes à s’amuser et à vivre.

Vient ensuite le cœur du long métrage, à savoir la rencontre entre Jean-Gabriel Périot et les témoins filmeurs de ce conflit. Le réalisateur les place dans les lieux dans lesquels ils ont tourné. Certains de ces endroits semblent n’avoir jamais connu l’horreur, quand d’autres en portent les stigmates, tel un parking détruit et désormais tagué. Les metteurs en scène bosniaques sont surtout mis face à leurs vidéos. « Ces films provoquent encore en moi une émotion intense et réveillent des souvenirs que j’avais occultés », confie l’un d’entre eux. Un confrère a quant à lui effacé une partie de ses enregistrements, mais les réminiscences de ce qu’il a vu lui reviennent fréquemment à l’esprit. Ce documentaire au dispositif simple, souvent apparent puisque Jean-Gabriel Périot se filme en train de filmer, sert d’introspection de la mémoire dans une démarche salutaire d’égal à égal.

 

Éléonore Houée
L’Humanité
13 novembre 2024